Les facéties d'Hippocrate - Morceaux choisis - L'adolescence
L'ADOLESCENCE
Ils sont deux, les suivants : la mère et le fils. L’une cultive le look bourgeois avec collier de perle, foulard Hermès et tailleur gris, et l’autre fait tout pour la faire chier : il porte un jean large, sans forme, qui descend bien au-dessous du slip, un tee-shirt crado noir sur lequel est inscrit « Fuck you » en lettres gothiques. Ses cheveux orange sont hirsutes. Ils se dressent sur sa tête d’adolescent en crise. Un tatouage orne son épaule. Des piercings mutilent sa lèvre, son nez, ses oreilles. Elle ne sait plus que faire, la rombière. Son rejeton ressemble à un épouvantail en rouge et noir ! Mais il ne fait pas peur qu’aux moineaux ! Les voisins se sont déjà plaints. Ils ont appelé les flics, imaginé un rôdeur, reniflé un dealer. Et ils ne se sont pas trop trompés ! Il fume du shit toute la journée, le dégénéré… Et il s’embrume le cerveau jusqu’à perdre toute lucidité.
— C’est l’argent de poche, me dit-elle. Il en a trop ! Il en profite pour acheter des saletés !
Elle aimerait le cacher, son mouflet. Un an ou deux ! Pas plus ! Le temps qu’il retrouve ses esprits, qu’il récupère une apparence normale. Le problème, c’est qu’elle ne peut plus le dissimuler. Elle est obligée de le montrer au docteur : il tousse comme un poitrinaire.
Elle a pensé que je saurais comprendre ! Bien-sûr!
Je pose mon stéthoscope sur le thorax de la tête à claque:
— Inspire !
— Heu...
— Par la bouche !
— Heu…
— Ca fait longtemps que tu tousses ?
— Heu...
La mère intervient.
— Je crois qu’il a pris froid…
Elle n’est pas certaine… Il fume tellement de choses… Et en plus, il ment comme il respire.
Il l’observe de biais, méfiant, vindicatif... Et elle le regarde avec une tendresse incompréhensible…
Je renonce à sortir le môme de sa crise de mutisme et me prononce :
— C’est une grosse bronchite.
Je palpe un peu son ventre, recherche des ganglions. Il s’énerve, me repousse, me défie ! Une vraie teigne ! Je lui prescris des antibiotiques tout en précisant :
— C'est pas des bonbons !
On ne sait jamais ! Il a l’air d’aimer aussi les comprimés, l’héritier…
La mère se tourne vers son descendant :
— Ça va aller mon chéri ?
L’autre manque s’étouffer… L’appeler mon chéri ! Comme ça ! En public !
Qu’est-ce qu’elle peut en attendre de son morveux ?
Un type m’a dit un jour : si vos enfants font pour leurs gosses autant que ce que vous avez fait pour eux, c’est déjà bien.
Avec l’affreux que j’ai en face de moi, c’est pas gagné…